Les histoires de symbioses entre des animaux et des végétaux sont souvent fascinantes. La plus connue est peut-être celle qui concerne les fourmis et les acacias. Par exemple, les fourmis Pseudomyrmex ferruginea avec l’acacia cornigera. Cet arbre assure en quelque sorte le gîte et le couvert pour les fourmis : Elles peuvent vivre dans les grosses épines creuses à la base des feuilles, et se nourrir de sécrétions produites spécialement pour elles par l’arbre (ce sont les petites excroissances blanches que l’on aperçoit au bout des feuilles sur la photo).
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A la base de la feuille, on voit une “épine” qui peut accueillir en son sein les fourmis. En blanc, au bout des feuilles, les corps beltiens
En échange, elles combattent les prédateurs : réputées très agressives, elles éloignent les autres insectes, parasites, voire même herbivores de l’arbre colonisé. Elles font même le ménage au pied de l’arbre, supprimant les végétaux susceptibles de lui voler de la lumière !
En fait, juste en aparté, c’est la trilogie des « fourmis », par B. Werber, qui m’a fait un peu connaître cette histoire. A la fin du collège et au lycée, j’avais trouvé ces ouvrages formidables, géniaux, savants et généreux. Bon, j’en suis sacrément revenu, mais malgré les imprécisions qui frôlent parfois la malhonnêteté scientifique, je le conseille vivement à tous les jeunes intéressés par les sciences du vivant. Histoire d’apprendre à être curieux ! (Et, en vieillissant, à apprendre que c’est franchement pas rigoureux!)
Revenons à nos moutons… euh, à nos fourmis… euh, à nos gobis… Oui, parce qu’au départ, ce n’est pas de fourmis et d’acacias dont je voulais parler, mais d’une symbiose du même type… au fond des océans. Les récifs coralliens renferment une biodiversité extraordinaire, et c’est donc bien normal que l’on cherche dans ces endroits tout type de symbiose, mutualisme, parasitisme… Vous connaissez tous le joli poisson clown dans son anémone, non ? Protégé de la toxicité des anémones par un mucus, il se protège de ses prédateurs en se cachant au milieu des tentacules venimeuses. L’anémone tirerait elle aussi partie de son symbiote, de façon plus ou moins directe (voir wikipedia pour des premières idées sur le sujet)
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Auteur : Nick Hobgood
Mais ce n’est pas non plus de cette relation mutualiste dont je voulais parler. Dans le numéro du 9 novembre 2012 de Science, il est reporté un mutualisme entre certains coraux et des poissons de la famille des gobis.
Dans ces récifs, il existe une lutte continuelle entre les coraux d’une part, et les algues d’autre part. Bien sûr, les coraux, c’est les gentils, qui permettent une très grande diversité de faune et de flore, qui offrent multiples abris contre les prédateurs et contre le courant. Les algues, ce sont les méchantes, beaucoup moins menacées par la surpêche, le réchauffement climatique, etc.
Cet article parle en particulier d’une algue, chlorodemsis fastigiata, et un type de corail parmi les plus courants et les plus beaux, Acropora Nasuta.
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chlorodemsis fastigiata (Lovell and Libby Langstroth)
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Acropora Nasuta (Gustav Paulay)
Cette algue pousse au pied des coraux, et les intoxique chimiquement.
[En fait, des tests ont été réalisés avec cette algue versus une fausse algue en nylon, et cette dernière n'a eu quasiment aucun effet sur l'activité photosynthétique du corail, contrairement à la vraie algue qui l'a inhibé d'environ 80 %. D'où la conclusion qu'il s'agissait bien d'une agression chimique.]
Heureusement, des poissons herbivores habitent ces coraux. Et ils nettoient consciencieusement les abords de leur hôte, qui leur offre, comme l’acacia pour les fourmis, le gîte et le couvert. On peut là encore parler de mutualisme, où chacune des espèces rend service à l’autre. [C'est rapidement dit pour le corail, qui est déjà lui même un "super-organisme", constitué d'une colonie de polype, vivant en symbiose avec du phytoplancton ou des algues photosynthétiques, les zooxanthelles, ainsi qu'avec diverses bactéries,...].
Cependant, les diverses espèces de poisson ne se comportent pas forcément de la même manière, vis-à-vis de l’algue C. Fastigiata. Là où une première espèce de gobi consomme cette algue, (Gobiodon histrio), l’autre testée (Paragobiodon echinocephalus) se contente de s’en débarasser. (D’autres espèces testées préfèrent, elles, abandonner le corail menacé par l’algue ! ). La raison est à peu près simple : Le G. Histrio sécrète un mucus toxique, qui le protège de ses prédateurs, et manger ces algues, toxiques elles-même, augmente leur toxicité ! Le P. Echinocephalus, n’étant pas toxique, la consommation de cette algue ne lui est pas bénéfique, et se contente de l’éliminer de la proximité du corail. Bref, pour le G. Histrio, non seulement se débarasser de l’algue C. Fastigiata lui permet de préserver son lieu d’habitat, mais en plus, cela le rend plus dangereux pour ses prédateurs ! La classe !
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Gobiodon Histrio (J.E. Randall)
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Paragobiodon Echinocephalus (J.T. Williams)
Une dernière chose : ce qui est un peu surprenant, c’est que les auteurs de cette étude on vérifié que la toxine de l’algue n’était tout simplement pas la même que celle du poisson, et que le poisson pouvait être toxique, sans la consommation de l’algue… Ce qui indique un mécanisme de production du poison sans doute plus complexe que si le gobi se contentait de réutiliser celui de l’algue…
Source :
Corals Chemically Cue Mutualistic Fishes to Remove Competing Seaweeds Danielle L. Dixson and Mark E. Hay, Science 2012, 338, 804